
Dès 2008 et la mise en place du Code de déontologie des masseurs-kinésithérapeutes, je plaidais en tant qu'élu ordinal pour une meilleure reconnaissance des pratiques thérapeutiques non conventionnelles. Inspiré par un communiqué de la commission d'éthique de l'Ordre départemental des médecins de Côte-d'Or, je publiais ainsi cette même année une tribune au sein de la revue Kinésithérapie, intitulée "Ethique et pratiques thérapeutiques non conventionnelles" ( Éthique et pratiques thérapeutiques « non conventionnelles » - ScienceDirect ). Je précisais alors qu'il n'était pas question de cautionner n'importe quelle pratique qui ne sacrifierait pas la sécurité des patients au nom de la liberté d'exercice, mais s'assurer d'un niveau de formation suffisant des professionnels, améliorer la communication tant interprofessionnelle qu'avec les patients, et surtout distinguer la pratique individuelle du type de "technique" usitée pour ne pas créer d'amalgames entre des comportements opposés au sein d'un même courant thérapeutique devaient notamment s'imposer comme des préalables à toute forme de jugement hâtif sur telle ou telle discipline. Comme le mentionnait avec sagesse l'Ordre des médecins de Côte-d'Or dans son communiqué, "L'indispensable foi dans ce que l'on fait ne doit pas conduire au sectarisme". Je complétais mon propos par ces termes: "Laissons donc le temps aux nouveaux outils de faire leurs preuves, assurons-nous qu’ils sont dans de «bonnes mains», et prenons le temps d’écouter et d’observer les patients traités par des confrères dont la pratique nous est étrangère. Ayons la curiosité de nous intéresser aux formations complémentaires, communiquons avec des professionnels aux pratiques diverses, nourrissons-nous de leurs expériences et respectons toujours le libre choix du patient qui ne doit jamais percevoir d’inconfort dans sa démarche de soins."

Mes craintes d'alors se sont par la suite confirmées puisqu'un certain nombre de pratiques, dont la Biokinergie, ont été qualifiées au fil du temps par l'Ordre national des masseurs-kinésithérapeutes de "dérives thérapeutiques", faute d'un niveau de preuves suffisant pour en objectiver les effets. Les thérapeutes qui constatent quotidiennement les bénéfices tirés par leurs patients de ces pratiques se voient ainsi stigmatisés, voire sanctionnés, au motif qu'aucune étude respectant les critères scientifiques en vigueur n'est en mesure de leur donner un crédit suffisant. La frustration est donc immense pour les professionnels consciencieux et passionnés, engagés parfois depuis longtemps dans des formations complémentaires longues et coûteuses.
Forte de ce constat, l'Association des Praticiens en Biokinergie a décidé il y a quelques années de mener une étude observationnelle sur les effets de séances de Biokinergie sur les lombalgies non spécifiques. Cette étude, menée sur une cohorte de 114 patients et pilotée par un laboratoire de recherches reconnu (SOLADIS), a suivi l'ensemble des procédures qui permettent de lui accorder le plus grand crédit. Soumise dans un premier temps à un Comité de protection des personnes (CPP) qui garantissait la sécurité des patients participants, puis à un corpus de scientifiques réunis au sein d'un comité de lecture qui l'a jugée scientifiquement, éthiquement et techniquement recevable, l'étude vient enfin d'être publiée dans la revue Medicine en décembre dernier ( Médicament ). Outre les excellents résultats obtenus après deux séances espacées de 3 semaines sur différents critères étudiés (réduction significative de la douleur et de l'incapacité fonctionnelle ainsi que de la consommation d'analgésiques, amélioration de la qualité de vie, diminution significative de l'impact sur l'anxiété-dépression et la vie sociale), qui corroborent les constats que nous faisons chaque jour dans nos cabinets, une telle étude confirme que se priver à priori d'une pratique qui s'avère efficace au prétexte qu'elle est, à un moment donné, insuffisamment éprouvée scientifiquement peut constituer une erreur. Et dans le cas présent, la lombalgie chronique ayant un lourd impact en termes de coût pour la société et les finances publiques, cette erreur d'appréciation n'est pas sans conséquences. La perte de chance pour le patient, systématiquement invoquée par les détracteurs des pratiques non conventionnelles - qui se revendiquent bien comme complémentaires et non alternatives -, ne résiderait-elle pas à contrario dans le fait de les priver de certains soins ?
Si l'étude est observationnelle, non interventionnelle et sans groupe témoin, et bien que les résultats obtenus soient statistiquement indiscutables, elle présente des limites qui nous obligent à rester humbles. Elle jette les bases d'autres recherches expérimentales qui nécessiteraient un nouveau financement conséquent d'une part, et elle n'apporte aucune explication sur les phénomènes induits directement sous les mains du biokinergiste au niveau des tissus et des voies informationnelles d'autre part. Sa publication dans une revue médicale soumise à comité de lecture est néanmoins une grande satisfaction, et nous espérons que cette première incitera les instances professionnelles à davantage de circonspection dans leurs jugements et recommandations.

Je terminerai ce post en vous livrant un passage de l'article "Ethique et pratiques thérapeutiques non conventionnelles" cité plus haut et paru en avril 2008 dans Kinésithérapie, la revue: "Nous pouvons percevoir, au fil de l’évocation des tentatives de l’esprit humain pour trouver la connexion entre le monde des idées et celui des phénomènes, combien certains postulats peuvent être éphémères et remis en question par d’autres découvertes au fil du temps. C’est d’ailleurs ce qui fait l’essence même de la science, et ce qui est admis à un temps "t" peut s’avérer obsolète à "t+x" sous l’impulsion de travaux de recherches, de découvertes fortuites, ou d’intuitions heureuses éprouvées par l’expérimentation. Attachons-nous en revanche à dépister les usurpateurs, les charlatans, ceux qui sous couvert d’un diplôme d’état profitent de la faiblesse ou de l’ignorance d’autrui à des fins peu scrupuleuses, ceux qui repoussent les limites de leurs compétences au delà de la raison même... Se conformer aux règles explicites ou implicites en matière d’outils thérapeutiques et d’opportunité de leur mise en œuvre (recommandations de bonne pratique, conférences de consensus, etc.) ne permet pas de s’exonérer de sa responsabilité morale et éthique vis-à-vis de ses pairs et de ses patients."
Votre biokinergiste, Jérôme Lachot
Pour aller plus loin sur le sujet:
Pour accéder à l'article de recherche paru dans la revue Medicine le 20 décembre 2024:
--> Médicament